Selon l’auteur

 

Le cheval Canadien:
Présenté par un auteur cinématographique

Extrait: Le vieux doc

Harry est né dans la paix d’un jour de mars 1753. Il était l’un des treize mille descendants des quatre-vingt-deux chevaux français envoyés en Nouvelle-France de 1665 à 1671 par le visionnaire roi Louis XIV. Maintenant désignés « cheval Canadien », Harry et ses ancêtres ont dû rapidement s’adapter aux besoins démesurés des colons et aux écarts climatiques extrêmes de Mademoiselle France. En 1753, le Canadien atteignait rarement les six cent kilogrammes et les cent cinquante-cinq centimètres au garrot (15,5 mains) de son contemporain. Même si son gabarit était inférieur à celui du cheval belge et du percheron européen d’aujourd’hui, son intelligence, sa force légendaire et son endurance ne lui ont pas moins mérité le surnom de « petit cheval de fer ».

Doc avait été remis au père Gaulthier par Monsieur le curé, qui le trouvait beaucoup trop ballot pour précéder sa noble carriole. Le gros cheval Canadien était carrément une « erreur de la nature » de sept cent kilogrammes et seize mains. Loin du tracteur à gazon pour colon du dimanche, Doc était la version John Deere turbocompressée de Monsieur Nouvelle-France sur stéroïdes !

Son coffre d’un mètre de largeur, sa robe brune et ses énormes pattes lui donnaient fière allure. Il était chaussé sur quatre sabots hors route à flanc noir, surdimensionnés et solidement cloutés, presque à l’image des sabots de série du percheron. Équipée de la traction intégrale aux quatre pattes, la traction avant était assurée par deux énormes épaules ballonnées de couches interminables de muscles. La traction arrière était fournie par deux cuisses courtes, mais monstrueuses munies d’un dispositif autobloquant particulièrement apprécié par le père Gaulthier durant ses longues années de dessouchage et de labour.

Comme le front du père Gaulthier l’avait douloureusement constaté, le système de freinage du vieux Doc était sec, mais très efficace. Cependant, malgré les coups de pelle pour le débloquer, le frein à main de la bête pouvait occasionnellement rester grippé les matins de grand froid. Autres points négatifs à noter : son encolure surdimensionnée nécessitait une attache-remorque renforcée et conçue sur mesure. De plus, au grand dam du père Gaulthier qui marchait derrière, son système d’échappement devenait tout sauf silencieux et anti-polluant à la moindre montée en puissance du vieux Doc... Notons en terminant que son châssis ultra-robuste et son appétit suralimenté affectaient malheureusement sa consommation hors route. Ainsi, avec quatre litres d’eau, trois galettes de foin et un demi-kilo d’avoine au kilomètre, son coût d’exploitation était de loin supérieur à la moyenne de sa catégorie selon le Guide du Joual 1752.