Trois années après la bataille historique des plaines d’Abraham
Sentier forestier de Nouvelle-France
À six interminables kilomètres de Baie-Saint-Paul
Dans un silence et un ralenti surréalistes...
_________________________________________________
Bordé par une forêt de feuillus majestueux, le paisible sentier montagneux se perd dans le lointain détour.
Tout près, à la tête d’un érable bicentenaire, la première feuille brunâtre de septembre abandonne son perchoir estival pour virevolter vers le sol. Avec grâce, cette messagère de l’hiver se pose sur le sentier inondé par les pluies torrentielles des derniers jours.
Alors que s’évanouissent les minuscules ondulations de son atterrissage à la surface de l’eau, le sabot avant de Harry – un énorme cheval de trait Canadien – l’enfonce violemment dans trente centimètres de boue visqueuse !
La patte du cheval est blessée. La peau de l’articulation est pelée et pendouille affreusement. Soixante centimètres plus haut, les muscles convulsés de sa gigantesque épaule brune sont transpercés d’un pieu de bois éclaté. Malgré le sang à ses narines, le cheval de trait enragé s’acharne à défoncer le collier de son attelage. Sa gueule, sans mors pour le commander, atteste sa rébellion contre le maître, mais aussi son mystérieux sacrifice volontaire. Heureusement, la dizaine de pansements de tissu bleu effiloché témoigne que quelqu’un veille sur lui.
À la gauche d’Harry, de l’autre côté du timon central, l’autre bacul de l’attelage double est vide, sans le deuxième cheval-vapeur pour l’aider à sortir le chariot emprisonné par la boue.
Le gros mâle n’est pas seul. À l’arrière de l’étalon, deux autres mâles lui prêtent main-forte : un seigneur anglais, Michael Henderson, et un colon français, Francis Gaulthier. Les habits d’aristocrate du colosse anglais détonnent avec les haillons déchirés du Français. Malgré la paix signé deux ans auparavant et la boue qui les unit, les deux hommes sont toujours ennemis de langue, de foi et de roi !
Leurs yeux se détestent. Leurs lèvres s’engueulent. Malgré la haine, chacun torture sa roue avant du chariot, avalée jusqu’au moyeu par la terre liquide.
Dans le chariot, sa robe bleue du dimanche en lambeau et le sein effeuillé, Marie-Catherine aboie sa détermination maternelle aussi grande que sa pudeur ignorée ! Et pour cause !...
Dans les mains épuisées de la magnifique femme blanche, une Amérindienne angélique de cinq petits printemps repose dans un hamac de fortune suspendu entre les bancs avant et arrière.
Punie ou bénie par un mal inconnu, le petit ange autiste rayonne de sa pureté, malgré son inconscience. Sa robe de peau de cerf est magnifiquement ornée de deux coulées de billes multicolores qui naissent sur son cou et meurent à ses pieds. Mais, avant même qu’elles n’atteignent la taille, les perles se noient dans l’horreur et le sang!
Le ventre et l’avant-bras de Nahima sont transpercés par la fourche de l’homme blanc. L’outil – ou l’arme ? – pénètre dans son dos pour émerger de son abdomen !
Sous le chariot, dont l’essieu arrière a été arraché quatre heures plus tôt, un érable branchu tente – plus mal que bien – de redresser et d’amortir l’ambulance en ruine.
À quelques mètres dans leur sillage, sur le bas-côté, git Luna, le cheval-vapeur manquant ! La jument, pourtant loyale jusqu’à l’épuisement, tourne l’oreille affolée vers ses frères d’armes, qui l’abandonnent sur le champ d’honneur !
Derrière elle s’étirent à perte de vue les traces de leur long combat contre la haine, la boue et l’intraitable Nouvelle-France pour sauver l’orpheline mystérieuse.
Haut, très haut au-dessus du chariot – au-delà des nuages et du firmament – flotte l’esprit de son papa amérindien, qui s’est éteint sur les plaines d’Abraham. Malgré trois années de séparation, Anadabi prie pour que les ailes de sa fille empalée cessent de pousser...
Les larmes de la Nouvelle-France recommencent à pleuvoir sur le sentier pour soumettre les trois pères adoptifs aux épreuves qui les obligeront à choisir : la haine, ou le pardon pour eux... Le Ciel ou la Terre pour Nahima !
Nouveau extraits ajoutés régulièrement. Revenez-nous voir!